201411.14
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En préambule…

Par Jean-Luc Chavanis (suite)

…Mon parcours dans le monde de l’entreprise m’a amené à être médiateur avant l’heure. En 20 ans de management, j’ai été confronté à bien des conflits, mais ai toujours eu à coeur de « conjuguer les différences et d’harmoniser les contraires », pour reprendre l’expression de Françoise Kourilsky, Docteur en Psychologie. Lorsque j’étais Directeur des stratégies dans une multinationale de l’industrie, nous avons traversé une période de fusions et de réorganisations. Avec son cortège inévitable de conflits, de rivalités salariales, de peur de l’avenir … Un climat de tensions terrible ! Et tant de souffrances, tant d’énergie perdue ! Je ne pouvais pas rester impassible. En tant que manager, j’ai considéré que j’avais une mission, un défi à relever. Il me fallait accompagner mes équipes dans cette mauvaise passe et apaiser les tensions. Alors, j’ai fait de la pédagogie pour expliquer sans fard les enjeux de la réorganisation. J’ai multiplié les groupes de parole et de prospective, j’ai encouragé mes collaborateurs à explorer des solutions pour se repositionner au niveau des métiers, de l’organisation. Et tenter de voir cette crise comme une opportunité. En somme, j’ai cherché à les rendre acteurs du changement.

En parallèle, ma passion pour la nature m’a amené à créer le premier atelier de jardinage dans la maison d’arrêt de Fresnes. C’est ici que j’ai poursuivi mon désir de concilier les contraires. Dans l’univers carcéral, lieu de conflits par excellence (avec la société, avec soi-même), j’ai cherché à créer du lien social en favorisant les échanges et la communication entre détenues. Pour ces femmes en souffrance, les plantes sont peu à peu devenues un outil de médiation. Le chemin pour exprimer leurs maux, avec peu de mots. À partir de cette expérience, j’ai réalisé que les mots peuvent être intrusifs, violents et raviver les blessures. J’ai réalisé que la nature était une façon de prendre des chemins de traverse pour libérer ses tensions et en parler de façon voilée. C’est ici que j’ai pris conscience de la puissance des approches créatives comme outils de résolution des conflits. De là est née ma méthode d’accompagnement et de médiation hors les murs : Métanature. Cette expérience bouleversante a déclenché en moi un conflit intérieur : l’enfermement de ces détenues m’a fait prendre conscience que ma vie professionnelle était devenue une forme d’emprisonnement. Pris dans un conflit de valeurs, j’ai refusé la plus belle promotion de ma carrière ! J’ai senti en moi comme un déclic : l’envie de donner un autre sens à ma vie. J’ai alors repris le chemin de l’université afin d’y acquérir les outils nécessaires pour aller plus loin dans ma relation à l’autre et dans la compréhension de la souffrance au travail.

Aujourd’hui, en tant que consultant, coach et médiateur, je ne cesse de tenter de concilier les contraires dans ma pratique professionnelle : allier performance et bien-être, efficacité et qualité de vie au travail…Ce n’est pas si simple ! Or, les contradictions ne doivent pas être des problèmes ; elles sont les racines de l’équilibre. Mais il convient pour cela d’appréhender les conflits de façon systémique et préventive. C’est ainsi qu’en tant que médiateur, il me semble que l’on peut devenir un artisan de la qualité de vie au travail. Une façon aussi pour moi de concrétiser mon désir créateur. Quel bonheur de faire émerger l’harmonie et la paix à partir du chaos, de faire pousser un jardin sur une friche désolée ! Comme dans la légende du Colibri, moi aussi, j’essaie, humblement, d’apporter ma pierre à l’édifice de la qualité de vie au travail.»

« Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. » (D’après la légende amérindienne du colibri)

Par Marie-José Gava (suite)

 … Journaliste pendant plus de 20 ans, j’ai été à l’écoute des acteurs de l’entreprise et de la santé au travail : managers, dirigeants, représentants du personnel, responsables des ressources humaines, médecins, professionnels de l’accompagnement, employés, ouvriers… Avec chacun, j’ai découvert une vision du monde. J’ai su apprécier ces moments d’intimité où la confiance se noue. Ce seuil fragile à franchir pour accueillir les récits de vie, les émotions, les colères, les galères… Laisser les paroles venir, sans intervenir. Écouter les maux et les transformer en mots. Donner à l’autre le plaisir de se raconter, et, par la magie du questionnement, traduire l’indicible : l’amener à découvrir le meilleur en lui, faire sortir la clarté de l’ombre, déclencher l’étincelle qui aidera peut-être à rebondir…Finalement, j’étais un peu médiateur avant l’heure…

Un « coup dur » dans ma carrière a été le véritable déclencheur. C’était il y a 13 ans. Un jour, j’ai eu l’impression d’être « dans le collimateur ». Pression, tension, surinvestissement, épuisement : la spirale infernale ! Direction : les urgences. Moi qui m’étais donnée à fond ! Ce job, j’y avais mis mes tripes. Ce job, c’était ma vie ! J’avais écrit tant d’articles sur la souffrance au travail, pour la première fois, je la vivais de l’intérieur. Tout conflit est paradoxal : destructeur, il peut se transformer en un merveilleux malheur… Écrire un premier livre sur les risques psychosociaux m’est alors apparu comme une évidence. J’ai ressenti le besoin de transmettre un peu de mon expérience à tous ceux qui connaissent l’enfer au boulot, dans ce huis clos de l’entreprise où les conflits font caisse de résonnance. J’ai essayé de livrer des clés pour repérer les jeux de pouvoirs et les tensions, pour tenter de les déjouer et oser les affronter. Sans y laisser sa peau. Sans y perdre son identité.

Aujourd’hui, en fédérant les talents au sein du réseau Place de la Médiation, par la formation certifiante de médiateur du travail, par ce livre, c’est le même désir qui m’anime : celui de transmettre des clés aux acteurs de la prévention qui ont le souci d’oeuvrer pour des entreprises meilleures où il fait bon travailler. « Nous voulons un monde nouveau et original ! » lançait Daniel Cohn-Bendit, en éveilleur libre. Et si, 50 ans plus tard, les organisations commençaient leur révolution, celle qui conduit à une « entreprise nouvelle et originale » ? Une entreprise où le respect et la créativité donneraient à chacun l’envie d’avancer. Et le plaisir de travailler. Car la course à la performance n’est pas incompatible avec les règles élémentaires du savoir-vivre : se dire bonjour le matin, se remercier, plaisanter, féliciter, s’excuser… Ce sont là les premiers antidotes aux conflits !